Phil Jarry
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Entretien.

Qu’est-ce qu’un bon  dessin ?
Le consensus dans l’appréciation de l'art et la possibilité d'une validation définitive d'un "bon" dessin sont quasiment impossibles.
Certes, Il existe une sorte d'opinion positive assez répandue et naïve concernant la capacité à bien dessiner de manière réaliste mais ce préjugé disparaît rapidement lorsque la fréquence d'exposition aux oeuvres augmente. L'art est peut-être le seul espace d'expérimentation où, de la façon la plus évidente, les qualités et les défauts n'auront pas forcément les valeurs qu'on leur accorde habituellement. L'habileté, le courage ou la persévérance peuvent produire un résultat académique, pathétique et laborieux. De la paresse, d’un manque de réflexion profonde, de l’égocentrisme le plus outrancier peut résulter une oeuvre dont on admirera l'étonnante économie de moyen, la légèreté rare et la force d'introspection.
Utiliser comme un expédient dans le langage courant et comme une vérité absolue, l'expression ''bon dessin" ne correspond en fait qu'à une réalité éphémère susceptible d'évoluer vers son contraire. Si l'on prend le cas de Picasso, on pouvait dire en 1940 qu'il dessinait extrêmement bien mais en 1990 ce n'était plus réellement possible de mon point de vue, tant l'inanité prodigieuse qui a finit par transpirer de sa production l’emporta sur sa dextérité devenue sans objet. Un équilibre précaire se met en place autour d'une oeuvre et définit provisoirement l'excellence. Il n'est pas sûr qu'un jour nous portions encore de l'intérêt à ce qui la veille nous apparaissait comme éternellement “bon"
Les cours de modèle vivants sont-ils devenus obsolètes ?
Il sera toujours utile de faire des gammes si tu veux jouer du piano. Par la suite, chacun trouve son toucher sur le clavier, même avec un marteau…
Faut-t-il chercher à avoir un style ?
Pour répondre directement, je dirais que l'essence du travail littéraire est la quête du style et dans toutes les autres activités humaines c'est un piège ou un boulet. Seules de basses préoccupations commerciales ou de malheureuses déficiences mentales finissent par amener l'artiste perdu à la cause à se répéter, favorisant la perception par autrui d'un style bien reconnaissable et bien ennuyeux.
Le sujet d'un dessin, l'idée de vouloir représenter quelque chose d'immédiatement identifiable, ne constituent-ils pas une limite de la pratique ?
Les seules limites de n'importe quel processus de création sont le manque d'originalité et l'absence d'imagination. Un dessin très élaboré aussi bien qu’un seul trait sur une feuille peut représenter l’ensemble de l’univers ou l'étroitesse d'esprit de son auteur. Lorsque lors d'une performance, un artiste brise en mille morceaux un violon, il serait stupide de nier qu'il repousse ainsi les limites qui délimitaient le champ des sons possibles que l'instrument peut engendrer mais de là à penser que celui qui sait en jouer n'aurait pas les mêmes opportunités, ce serait également stupide. Ce fut le problème de l'art abstrait, à une époque, de s'enfermer dans l'idée que telle la conquête de l'ouest le progrès dans l'art ne devait s'envisager que dans une seule direction et que tout le reste était fatalement obsolète. Ne plus être soumis à la contrainte de la représentation de la réalité fut tellement libérateur que beaucoup d'artistes finirent par ne pas s'apercevoir qu'ils repeignaient la prison. Il est assez triste de voir souvent des créateurs se persuader qu'il faut absolument circonscrire un périmètre pour exister. L'art est par nature tautologique, infini et sans fonction prédéterminée. Toute oeuvre se questionne elle-même en étant reliée à la multitude des interprétations individuelles. Contrairement à tout ce que nous produisons, les oeuvres d'art semblent surgir ex nihilo de la pensée pour définir le vide qui les entoure. Ce qui compte c'est la contre-forme, c’est-à- dire ce que l'oeuvre révèle en chaque spectateur. La liberté est donc totale et tout empiétement de ce statut unique marque le début de la fin. De tout temps (notre époque comprise) nombreux sont les artistes qui perdent de vue l'objectif en s'en donnant un.
De la cité idéale, Platon exclut les artistes car à l'opposé de l'artisan qui fabrique une chaise sur laquelle on peut réellement s’asseoir celui qui la dessine ne fait que tromper les sens et s'éloigne du beau qui est le vrai. Son raisonnement est implacable mais la véritable grandeur de l'art est précisement d’être en mesure de concurrencer les discours philosophiques.
Quel devrait être le but ultime de l’artiste ?
Il m’apparaît essentiel de tenter de révéler la nature ambivalente de l’activité créatrice : au sentiment de contrôle se mêle souvent celui d’impuissance, à la volonté de prendre rapidement une direction s’oppose parfois la nécessité d’un long détour non prévu et le désir d’une vision synthétique est souvent contrarié par l’apparition chaotique de nouvelles possibilités qui ne peuvent être simplement ignorées. Le but ultime est de bien formuler une énigme.
Cioran disait que l'artiste devrait juger son oeuvre avec l'oeil de "l'ennemi objectif". Cela fait-il partie intégrante d travail ?
C’est un réflexe : un gamin recule de quelques pas sur la plage pour constater que son château de sable s’inscrit harmonieusement dans le paysage. Il s’extrait du processus pour juger du résultat. Ça peut aussi devenir un piège d’être trop sévère : jeter une partie c’est valider définitivement une autre, comme si le meilleur était forcément présent et indiscutable puisque sauvé de la poubelle. Il y a des écrivains qui raturent d’un seul trait un paragraphe en sachant qu’il pourra donc quand même être lu plus tard par des érudits sur le manuscrit et d’autres qui noircissent rageusement chaque phrase jugée mauvaise. L’artiste est le meilleur juge de sa production mais il ne peut préjuger de son impact réel sur le public qui demeure le véritable point de vue objectif ami ou ennemi.
Que valent les critiques extérieures ?
S'entourer de conseils, écouter les avis divergents, être attentif aux critiques, est une bonne démarche au début de toute entreprise si tu as assez de personnalité pour ne pas être trop influençable malgré tout. Puis les choses évoluent, ton itinéraire devient plus complexe, tu fais l'expérience de l'aboutissement non pas de la totalité mais au moins d'une partie et le besoin du regard extérieur s’amoindrit. Je ne pense pas que le facteur Cheval en son Palais, Paul Gauguin sur son île ou Gerhard Richter dans son atelier, aient jamais réellement ressenti l’urgence qu'on les informe en permanence sur l'état des lieux. A moins de rechercher à tout prix compliments et louanges, il n'y a pas de raison de passer son temps à guetter le moindre jugement d’autrui.
Comment définir l'inspiration ?
L'inspiration c'est quand un artiste a le coup de foudre pour lui-même ! C'est paradoxalement le contraire du narcissisme qui est un état pathologique caractérisé par un manque total de lucidité.
A certains moments privilégiés, l’artiste pressent qu'il y a une possibilité d'initier un travail qui aura une valeur certaine à ses yeux quel que soit l'effort qu’il ne cherche pas forcément à estimer.
Mais obnubilés par la quête d'un style identifiable, la plupart des artistes ne sont plus réceptifs et s'enferment dans une recherche esthétisante, souvent répétitive pour enfoncer un clou mille fois enfoncé par d'autres. Je ne vois pas l'intérêt d'afficher une ambition aussi scolaire.
Quelle est la valeur cardinale pour un artiste ?
La sincérité. Inutile de se proclamer artiste indépendant et incorruptible sans admettre qu'il faut sans cesse chercher le meilleur moyen de ne pas se tromper soi-même.
Avec quel critère définitif peut-on juger d’une oeuvre ?
L'histoire de l'art (comme celle de la pensée) est comme ces glaciers qui progressent en diminuant de taille très lentement et charrient des blocs de roches de toute tailles qui finalement se posent dans le paysage au fur et à mesure de la fonte. Comment prévoir la place future de chaque bloc et son importance sachant que de surcroît la courbe de production d'oeuvres (et de discours sur l’art) est exponentielle ? Qu'il s'agisse du fond, de la forme ou de la démarche, l'un des critères les plus performant est l'originalité. Dans la course éperdue vers le progrès, la soif de nouveauté est certes un paradigme devenu totalitaire mais il ne faut pas confondre originalité avec avant-garde. Dans une époque dont on nous répète à tout bout de champ que l'individualisme est devenu la valeur principale il est parfois difficile d'admettre que malgré les dérives, il reste préférable d'accorder en priorité son attention à une production artistique qui se distingue par sa singularité. Sur ce qu'on peut appeler le fond, il est rare, me semble-t-il, qu'un individu qui pratique un art agisse comme un révélateur inédit. La forme parait être le lieu de prédilection de l'originalité mais son renouvellement est trop tributaire de l'histoire des outils et des avancées techniques (les impressionnistes sortant de l'atelier grâce à l'invention de la peinture en tube restant le plus fameux exemple). L'un des problèmes actuels de l'utilisation des nouvelles technologies est précisément un déconcertant trop plein de fausse originalité formelle. Reste donc la démarche. A travers des oeuvres qui considérées séparément n'auront pas nécessairement un caractère de nouveauté on peut, si on prend du recul afin de saisir l’ensemble, voir parfois apparaître l'expression d'une individualité sans équivalent. Joseph Beuys parle à un lapin mort, conçoit des sculptures et plante un arbre, Richter peint de très grands tableaux mais présente aussi de collections d'images dans des vitrines, James Turrell crée des installations lumineuses minimales dans l’espace d’exposition puis transforme un volcan en oeuvre monumentale. Nombreux sont les artistes dont l’originalité est leur personnalité rendue visible à travers une oeuvre protéiforme.
Comment expliquer que des photos ou dessins amateurs atteignent parfois un but que la technique et le savoir-faire ne garantissent pas ? 
Comme la lettre volée qui demeure introuvable (qui était en réalité simplement posée sur un bureau dans la nouvelle de Edgar Allan Poe), l'évidence est sous nos yeux car on oublie que les outils que nous inventons et utilisons ont un potentiel infini. Nous pouvons les utiliser ne serait-ce qu'une seule fois et révéler une partie encore inconnue de ce potentiel. Le travail de l'artiste est d'arriver à reproduire le phénomène plusieurs fois. A moins qu'il ne s'agisse d'un génie, tous les dessins d'un seul enfant ne feront pas une bonne exposition, ce qui serait par contre réalisable en écumant les maternelles. D'un album de photos de famille, on ne sauvera qu'une image sauf s’il s'agit de celui d’Elephant Man.
Le travail assidu et le savoir faire permettent d'envisager la réalisation d'une oeuvre plus complexe que celle du premier venu, opportuniste peut-être chanceux pour un moment mais vite à bout de souffle. Si tu ne dessines pas tous les jours, tu obtiens plus difficilement le résultat que tu escomptais.
Quel est l'enjeu de l’aventure artistique?
L'enjeu, c'est de créer un filtre entre la pensée et la réalité en choisissant un point de vue sur le monde puis de l'enrichir sans cesse.
La notion de plaisir préside-t-elle à la création ?
Il est assez fréquent que ce soit le cas mais il arrive aussi que plaisir ne soit présent que dans le soulagement d'en avoir terminé. L'absence totale de jouissance avant, pendant ou après est un symptôme grave d'une maladie qui s'appelle mélancolie. Kafka reconnaît que ses tourments n'existent qu'en rapport à des moments d'extase fugitifs (dans les lettres adressées à Milena, il l’avoue explicitement) et je crois qu'effectivement le constant déséquilibre entre souffrance et plaisir est le début et la fin de toute inspiration.
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​     New-York - 2013
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